Supprimons la Cour de Justice de la République (CJR)

« Alors tu vas toucher combien en tant que conseiller régional ? » C’était clairement la question que tout le monde me posait…  des fois ça venait quand même en deuxième après « tu vas bosser sur quoi, être dans quelles commissions ? » mais jamais très loin après.

Bref, je viens de recevoir mon premier « bulletin d’indemnités », et la réponse est : 2 200 nets pour avril sur lesquels je vais reverser 15% aux Verts et à Europe-Ecologie  comme tous les élus écolos… donc 1900 euros nets.

Soit un brut de 2647 euros moins des cotisations ircantec crds csg etc… et… une retenue à la source (de l’impôt sur le revenu) de 144 euros (ce qui n’est pas beaucoup, j’y reviens). Ça c’est pour la région Ile de France, la seule au-dessus de 10 millions d’habitants.

Alors, 2200 nets, c’est beaucoup et pas beaucoup, évidemment cela dépend du point de vue, mais ça reste beaucoup.

Je m’explique : s’agissant de mon petit cas personnel par exemple, en 5 ans de vie professionnelle (et autant de statuts…), je n’ai jamais « gagné » autant. Pas loin, mais pas autant.

Attention, on ne parle pas d’un salaire à proprement parler. Mais l’activité d’un conseiller régional, ce n’est pas que les 2 jours de session par mois ni même le travail de la semaine qui précède.  C’est aussi et même surtout les différentes réunions de commissions et le travail d’amendements qui précède chaque réunion de la commission permanente (c’est là où les dépenses générales sont affectées).

C’est aussi la représentation et les votes dans une foule d’organismes régionaux, créés ou financés par la région, à commencer par les 477 lycées. Pour ma part je suis administrateur dans 4 d’entre eux, et suppléant dans 5 autres. Je vais également siéger aux Conseils d’Administration de l’Agence Régionale de Développement, de l‘Atelier sur l’ESSl’ARTESI sur les NTIC et le conseil régional va proposer ma candidature pour présider le Centre Francilien de l’Innovation. Sans oublier 2 GRETA et deux missions locales et d’autres organismes cofinancés par la région.

Du coup, concrètement, c’est très difficilement conciliable avec un plein-temps salarié classique : rien que les CA de lycées c’est fin d’après midi, au rythme de 3 par an ça fait 12 après-midi à bloquer. Les commissions se réunissent 2 à 3 fois par mois etc…  Et de fait, j’ai pas les chiffres, mais on constate que bon nombre de conseillers sont indépendants, professions libérales, médecins, retraités, pigistes ou avocats ou autres, mais peu salariés employés « salariés classiques ». Ils ont bien officiellement le droit à des décharges systématiques pour les réunions ayant trait à leur mandat et l’employeur n’a pas son mot à dire, mais quand même, c’est difficilement compatible.

Je passe sur l’avis qui voudrait que vu que c’est extrêmement intéressant les élus pourraient le faire gratuit. Ce serait évidemment restreindre le champ des élus qui peuvent se le permettre, seuls pourraient siéger ceux qui ont des revenus par ailleurs (les fameux notables du XIXème siècle) .

Là c’est 2 fois le SMIC net. Alors c’est pas beaucoup… pour qui ? Pour ceux qui gagnent plus par ailleurs, et qui mettent leurs activités en sommeil par exemple, ou pour ceux qui ont des enfants à charge, ce qui n’est pas mon cas. Mais certains élus ont quitté des postes de direction (payés 2, 4 ou whatmille fois plus) pour être élu, et doivent donc adapter leur train de vie.
Mais sans même parler du cas des chômeurs en fin de droits, ou de tous ceux qui seraient heureux d’être payés / défrayés pour contribuer ainsi à la démocratie représentative etc. etc, 2 fois le SMIC net c’est beaucoup par rapport aux revenus moyens de nombre de salariés à plein temps.

Je ne vois pas trop comment baisser cette indemnité toutefois puisqu’un élu qui veut se consacrer largement à son mandat doit se loger etc etc. En revanche, je vois deux inégalités qui posent un vrai problème.

La première, c’est celle entre conseillers régionaux et maires.

En effet, un maire gagne entre 600 et 5 400 euros selon la taille de la ville (cf ici http://www.linternaute.com/actualite/politique/municipales/salaires-maires/salaires-maires.shtml). Du coup les 2 200 nets d’un conseiller régional sont à comparer avec les 2 400 (bruts ?) d’un maire d’une ville de 10.000 à 20.000 habitants. Indemnités similaires, mais responsabilités (y compris juridiques) bien plus grandes pour les maires.

Autre réflexion, celle sur la retenue à la source…C’est une bonne idée dans le principe. Mais elle est dévoyée en pratique, puisque cette indemnité, si j’ai bien compris, est forfaitaire !

Donc l’impôt sur le revenu des citoyens français est progressif : en théorie, plus les revenus sont importants, plus le taux d’impôt est élevé (sauf pour les joueurs de tennis de l’équipe de France, pour Johnny Halliday ou tous les autres admirateurs des montagnes suisses, pour ceux qui bénéficient des niches etc.).

Mais l’impôt des élus est forfaitaire : là c’est environ 6% ce qui est peu. Normal puisque tous les conseillers régionaux touchent la même indemnité ? Et bien non : au final, l’élu qui est avocat a plus de revenus. Mais va payer la même retenue à la source que celui qui n’a pas d’autres activités ou revenus. C’est un problème, peut-être pas fondamental, mais c’est un problème.
Autre inégalité, entre élus qui cumulent et ceux qui se consacrent pleinement à leur mandat. Pour les premiers, ces indemnités ne représenteront qu’un quart des indemnités d’un député par exemple. Pour les seconds, ce sera l’essentiel de leurs revenus (j’y reviendrai). On vient toutefois de voter la possibilité d’une baisse des indemnités en cas d’absentéisme et ça devrait inciter les élus (cumulards ou non !) à plus de présence (mais présence n’implique pas forcément préparation et boulot en amont).
Dernière piste, puisqu’on parle d’élections, il faut des candidats. Le statut d’élu semble un peu flou et gagnerait certes à bénéficier de certains éclaircissements, notamment sur la validation des acquis de l’expérience, la sortie de mandat pour éviter que les élus ne s’accrochent car ils n’auraient nulle part où aller etc.

Mais ce n’est rien comparé au statut du candidat, inexistant. Or pour être élu, il faut faire trois campagnes : la vraie, officielle, avec les spots à la télé et l’affichage public qui dure peu de temps, un moins avant les élections et qui prend tout le temps disponible. La vraie, officieuse, la campagne qui démarre en fait avant la campagne officielle et qui est énormément chronophage aussi, évidemment.

Et puis un temps plus flou, avant encore, c’est la campagne interne… pour être désigné ou investi candidat par son parti. Et si c’est délicat à mesurer ou identifier, c’est néanmoins un gros investissement (en temps et/ou énergie). Et là, il n’y a pas de décharge possible (on voit mal qqn aller voir son employeur pour lui dire « je serai pas là vendredi car y a une réunion importante qui fait que je serai peut-être sur telle liste pour telle élection dans 6 mois ».

Dès lors, on y revient, les salariés classiques ont bien sûr plus de difficultés à se présenter… Il y a donc un biais et c’est aussi pour ça qu’on retrouve une surreprésentation des statuts type gérant, professions libérales etc. par rapport à leur poids dans la société. Les salariés, employés classiques qui forment l’essentiel de la population active sont sous-représentés. Sans parler des précaires bien sûr, qui quand ils sont élus sont l’exception qui confirme la règle ;

A venir dans un prochain billet, quelques éléments sur le cumul des indemnités, l’écrêtement (le fait de reverser le trop-plein d’indemnités à ses adjoints) etc.. !

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8 Comments

  1. Mao Peninou

    Salut Julien,

    Voilà un point precis et éclairant.
    Deux choses.
    1/ tu ne parles pas du tout de la question du statut social. Comme élu parisien (adjt au Maire d’arrondissement puis conseiller de Paris) je ne cotisais pas a l’assurance maladie, et donc me trouvais depourvu de la sécurité sociale. c’est en devenant adjoint au Maire de Paris que, d’un coup et ma grade surprise, j’ai retrouvé une couverture maladie. Il y a la aussi un sujet a creuser tant du point de vue de l’égalité de traitement des élus, que de celui de la couverture sociale en tant que tel.

    2/ sur le prélèvement à la source. C’est un sujet qui me passionne car j’ai toujours pensé que c’est une solution d’avenir pour tout le monde.
    En effet cela pose le problème de la progressivité puisque chaque source de revenu est traitée à part, et donc la progressivité ne peut être assurée sur la totalité des revenus de chaque individu, mais uniquement type de revenu par type de revenu.
    En « compensation » la retenu à la source ne peut prendre en compte les divers dégrèvements (les fameuses niches bien sur, mais aussi les parts familiales, les aides ménagères, les travaux d’isolation et divers normes écologiques,…). C’est donc plus « égalitaire », au sens strict du terme.

    Il serait donc intéressante de faire une études comparative sur les conséquences réelles en terme de progressivité.

    Toujours heureux de te lire.

    Amitiés.

    Mao

  2. didier

    enfin du consistant. Continues à nous faire partager tes premiers pas d élus régional en gardant cet esprit critique. Bon courage pour tes mandats

  3. collas gilles

    Bonjour
    merci de la clarté et de la franchise du propos. Enfin un vrai comportement démocratique, avec un discours de vérité qui porte aussi sur les questions d’argent. Mais n’y a-t-il pas aussi au conseil régional des indemnités complémentaires (comme pour les députés) ou des forfaits pour frais professionnels ou autres qui gonflent la note? Je précise que je pose la question sans suspicion.

  4. Alain Lipietz

    Bravo Julien.
    Tu verras : la pire des inégalités, pour le même prix , c’est entre ceux qui se décarcassent et ceux qui foutent rien.

  5. Denis Pansu

    A noter qu’une entreprise depuis plus de 10 ans a prévu un congé de campagne électorale pour ses salariés : Laboratoires Boiron

  6. Séverine Leclercq

    Merci beaucoup pour cet article. Des questions que tout le monde se pose sans oser les demander (sauf aux petits jeunes comme toi 😉 ).
    En tant que salariée qui a regardé de loin la campagne, pas par manque d’envie d’y participer mais parce que même sans être candidat on explique difficilement à son employeur qu’on a besoin de temps pour militer pour quelque chose qu’on trouve important, ça me fait mais vraiment très plaisir que tu relèves ça.
    On parle beaucoup du partage entre temps libre et boulot (surtout le 8 mars dans les réunions organisées par la boîte, comme si ça ne concernait que les femmes) mais la seule excuse à peu près valable pour avoir besoin de partir du boulot à une heure raisonnable, c’est avoir des enfants à la maison.
    Le reste, ça n’existe pas. Essayer de faire comprendre à son chef qu’on n’est pas que des salariés ou des consommateurs et qu’on est aussi des citoyens, des habitants d’un quartier ou d’une ville et qu’on ne veut pas forcément qu’il n’y ait que des retraités ou des professions libérales dans les conseils de quartier, les partis politiques, les associations, c’est mission impossible.
    Et quand on a un boulot précaire, bien sûr, on multiplie par 10 cette difficulté.

  7. Michel ABHERVE

    Il ya aussi une inégalité très forte. De nombreux élus ont un travail dans une autre collectivité territoriale, dans un cabinet le plus souvent, ce qui ne leur crée que peu de contraintes horaires(ce qui ne veut pas dire peu de travail) alors que d’autres ont un travail qui crée de réelles contraintes et laissent peu de possibilté pour ce qui doit faire aussi partir d’un mandat au delà des temps formels, les rencontres, les visites…

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